01/10/2024
Le moulin de la Sourdine (Marcel Aymé)
Dans une petite ville de province, Buquanant et quelques camarades ont l’habitude de se retrouver à la sortie de l’école pour jouer quelque temps avant de rentrer chez eux. Il les incite à venir dans son quartier, un brin mal famé, à l’autre bout de la ville pour leur faire découvrir d’autres terrains de jeux et surtout une mystérieuse rivière souterraine, appelée La Sourdine qui doit être passionnante à explorer pour cette petite bande de gamins d’une douzaine d’années. De son côté, Maître Marguet, notaire de son état, voudrait convaincre le vieux Burtillat de vendre son terrain pour permettre l’extension de TDC, la petite usine locale. Sans y parvenir. Passant par là, Troussequin, pauvre hère peu gâté par la nature, demande aux deux hommes de lui accorder quelques heures de travail. Le notaire accepte de l’embaucher à repeindre sa cabane de jardin. Quelques jours plus tard, la jeune servante du notaire est retrouvée dans sa chambre, poignardée de bien vilaine manière. Le coupable est tout trouvé, ce sera Troussequin qui a déjà tâté de la prison pour tentative de viol. Mais c’est sans compter sur le témoignage des gamins juchés en haut du clocher de l’église…
« Le moulin de la Sourdine » n’est pas vraiment un roman policier dans la mesure où il n’y a pas d’enquête au sens classique du terme. Le lecteur devine le nom du coupable dès le début. C’est plutôt un roman noir ou un roman social et même une fable avec une morale du genre : « selon que vous serez puissants et respectables ou pauvres et peu recommandables, vous serez jugés de bien différente manière ! » La petite ville de province, que l’on peut supposer franc-comtoise, est un microcosme assez figé avec sa partie respectable et son quartier populaire, ses notables, le maire, le notaire, le juge d’instruction et ses gueux, tous bien pétris d’humanité. L’ironie teintée de mansuétude de Marcel Aymé s’en donne à cœur joie dans cette histoire sur la culpabilité, les préjugés et la facilité avec laquelle l’opinion se fait et se défait. Même si ce texte date de 1936, il est encore très agréable à lire aujourd’hui, ne serait-ce que pour le style élégant de Marcel Aymé, pour la description de personnages assez hauts en couleurs et pour le sujet intemporel, celui de l’erreur judiciaire.
4/5
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28/09/2024
Révolution et mensonge (Alexandre Soljenitsyne)
Peut-on vraiment vivre sans mentir ? Un totalitarisme peut-il perdurer sans violence ni mensonge ? Et quid de la passivité de l’opinion publique, de sa collaboration avec un pouvoir inique alors qu’il suffirait qu’un nombre suffisant de personnes, sans même se dresser ouvertement, sans même descendre manifester dans la rue et encore moins aller affronter les forces de répression, se contente de ne plus obéir du tout pour que toute tyrannie s’effondre tel un château de cartes… Comment une simple révolte circonscrite à la seule ville de Saint Pétersbourg et sans aucun réel soutien du peuple, put-elle prendre une importance considérable et tout faire basculer en février 1917 ? Pourquoi le tsar Nicolas II abdiqua-t-il aussi facilement ? Pourquoi ne fut-il pas capable de s’appuyer sur la noblesse et l’armée ? Quels furent les points communs et les différences entre la révolution française et la révolution russe ?
« Révolution et mensonge » est un ouvrage regroupant trois essais de philosophie politique écrits par Alexandre Soljenitsyne en marge et en complément d’une de ses œuvres magistrales « La roue rouge ». Le premier « Vivre sans mentir », datant de 1974, s’attaque plus généralement aux problèmes de la soumission à l’autorité, de la lâcheté du public par calcul, manque de conviction voire par sottise pure et simple. On est dans le registre de la psychologie et de la manipulation des foules, voire celui de la « Servitude volontaire » si bien décrite par La Boétie. Dans le deuxième, « Leçons de février », écrit en 1983, l’auteur s’attache plus à la personnalité de Nicolas II, sa posture presque trop « chrétienne » lui interdisant de réagir en faisant couler le sang de son peuple, tout comme son côté petit bourgeois, soulagé d’être enfin débarrassé du fardeau du pouvoir et heureux de pouvoir retrouver sa petite vie de famille. Quant au troisième, il est peut-être le plus intéressant du point de vue historique (« Deux révolutions, la française et la russe », 1984). Les similitudes que le lecteur y découvrira sont innombrables. Deux monarques faibles, mal entourés, mal soutenus et peu réalistes. Un enchainement d’évènements étrangement parallèle, un emballement quasiment incontrôlable avec élimination des plus modérés (Mencheviks en Russie, Girondins en France) au profit des plus extrémistes (Bolcheviks et Montagnards). Même haine de la religion, même liquidation du clergé qui refuse de se soumettre. Même spoliation, même ruine et même effondrement du pays. Seule différence notable : en France, tout s’acheva par un Thermidor qui vit la Révolution dévorer ses enfants avant de passer la main à un dictateur qui s’improvisa empereur et répandit la guerre dans toute l’Europe (la comparaison Napoléon/Staline ne semble pas pertinente). Les Bolcheviks russes, très inspirés par la révolution française, surent habilement éviter le piège et faire durer leur pouvoir presque trois quarts de siècle avec des souffrances bien pires et des victimes en nombre nettement supérieur…
4,5/5
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24/09/2024
300 maximes des saint ascètes de l'Eglise orthodoxe (Georges Maximov)
« C’est une chose de croire que Dieu existe, et une autre de connaître Dieu. Celui qui connait Dieu par l’Esprit-Saint brûle d’amour pour Dieu jour et nuit et son âme ne s’attache à rien de terrestre. » (St Silouane du mont Athos)… « Ne dis pas : « Cela s’est produit par hasard, c’est arrivé tout seul. » Dans ce qui arrive, il n’y a rien de désordonné, rien de vain, rien d’accidentel… Quel est le nombre de tes cheveux ? Il n’en est aucun que Dieu n’ait compté ! Ne vois-tu pas que rien, même la chose la plus infime, n’échappe au regard de Dieu. » (St Basile le grand)… C’est le mensonge qui nous sépare de Dieu, et uniquement le mensonge, les pensées mensongères, les mots mensongers. C’est la conjonction de tous ces mensonges qui nous conduit à la mort, aux illusions et au reniement de Dieu. » (St Nicolas d'Ochrid)… Ces trois citations, juste pour donner une idée du ton particulier de cet ouvrage.
En effet, « 300 maximes des saints ascètes de l’Eglise orthodoxe » est un recueil de préceptes, d’apophtegmes, de paroles de sagesse de géants de la foi orthodoxe, souvent moines ou ermites du mont Athos et autres lieux. À l'origine, ils étaient destinés surtout à l’enseignement de jeunes novices débutant dans la vie religieuse. L’ouvrage est assez court (56 pages), mais plutôt dense. Chaque maxime mérite d’être lue, relue et méditée, tant elle relève d’une foi profonde, d’une spiritualité élevée et d’une ferveur extraordinaire. Ces préceptes, qui peuvent être d’un grand secours dans notre vie de tous les jours, sont classés en six grands chapitres : « Dieu et nous », « Les réalités du monde spirituel », « Nous et ceux qui nous entourent », « Ce qui nous rapproche de Dieu », « Ce qui nous empêche sur le chemin vers Dieu » et « Ce qu’il faut supporter sur la voie spirituelle. » La lecture de ce recueil peut présenter un intérêt universel. N’importe qui peut en tirer profit, quelle que soit sa religion ou son absence. Les véritables valeurs de la loi naturelle s’imposant d’elles-mêmes…
4,5/5
08:59 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
21/09/2024
Lait, mensonges et propagande (Thierry Souccar)
Les produits laitiers sont-ils vraiment nos amis pour la vie ? Sont-ils réellement indispensables à la santé de nos os ? Doit-on vraiment consommer 3, 4 voire 5 produits laitiers par jour pour mincir et garder une bonne santé comme nous le martèle la publicité faite par les cartels de l’industrie laitière ? Les anciens se souviennent du verre de lait proposé par le ministre Michel Debré aux enfants des écoles, soi-disant pour leur croissance, en réalité pour écouler la surproduction de lait. Le lait de la vache est destiné au veau et non à l’homme. Il contient des hormones de croissance qui correspondent à celle du veau et non à celle du nourrisson. On peut donc se poser bien des questions sur l’intérêt réel de cette surconsommation de laitages. Par exemple : « Pourquoi l’ostéoporose ne diminue-t-elle pas avec la consommation de lait et pourquoi progresse-t-elle au contraire ? » ou « Pourquoi les amateurs de laitages ont tendance à avoir plus de cancers de la prostate que les autres ? » ou encore « Pourquoi les chercheurs soupçonnent le lait de favoriser le diabète de l’enfant ? » On peut aussi avoir une densité osseuse importante et être sujet à la fracture, tout comme une densité faible et un risque minime… Paradoxal, n’est-il pas ?
« Lait, mensonges et propagande » est une enquête journalistique de grande qualité sur le lobby laitier et sur les effets réels des laitages sur la santé. Cet essai rigoureux et bien documenté montre comment l’industrie a réussi à faire d’un aliment marginal et mal considéré un pilier incontournable de l’alimentation moderne à grands renforts de publicité, de lobbying et de propagande. Le lecteur découvrira bien des choses dans cet ouvrage comme le fait que les Suédois détiennent à la fois le record mondial de la consommation de lait et celui des fractures du col du fémur. Le calcium du lait ne leur ferait-il pas un squelette en titane ? Il apprendra aussi que les populations asiatiques qui ne consomment pas ou très peu de lait souffrent moins de fractures ou de problèmes d’ostéoporose que les Occidentaux qui en consomment énormément. Et quand les Asiatiques (à Singapour, aux Etats-Unis, etc.) se mettent au régime occidental en consommant autant de produits laitiers que les Occidentaux, ils se mettent à souffrir des mêmes pathologies. Le lien de cause à effet est donc évident. L’auteur a aussi l’honnêteté de présenter toutes les études scientifiques, même celles financées par l’industrie laitière. Donc, arguments et contre arguments. Au lecteur de se bâtir une conviction. En fin d’ouvrage, comme il s’agit d’une édition revue et augmentée, Thierry Souccar répond aux questions des lecteurs d’une manière plus nuancée d’ailleurs que dans le reste du livre. Présence également d’un index très conséquent de notes et références en fin de volume. Bonne raclette quand même…
4,5/5
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18/09/2024
Autoportrait au radiateur (Christian Bobin)
Christian Bobin nous dit qu’il aime les fleurs, les enfants et les femmes. Les hommes lui sont indifférents. Il ne les remarque même pas. Mille petites choses font son bonheur du jour. Il s’émerveille d’une belle lumière, de l’odeur du foin coupé, de la beauté d’un pétale de tulipe tombé sur un guéridon ou du vol d’une libellule. Ce qui le remet au monde ? Deux verres d’entre-deux-mers, la fumée d’une ou deux cigarettes et une page d’un poète suédois, une seule, pas deux. Il vit seul, lit beaucoup et écoute du Mozart dont les œuvres lui évoquent toutes sortes de choses dont le chuchotement des rivières ou le balbutiement des nouveaux-nés…
« Autoportrait au radiateur », en dépit de son titre, n’est pas vraiment un livre d’autofiction. Pas un roman non plus. Le lecteur cherchera en vain une intrigue construite, une histoire rondement menée ou des personnages hauts en couleurs. Il ne parle que de lui-même et de rares proches, et encore sans en dire grand-chose. Et ce n’est pas non plus un véritable journal bien qu’il en respecte la forme apparente en commençant son texte début avril 96 pour l’achever fin mars 97. Ce texte aurait pu être le récit d’une année de vie d’un écrivain ordinaire, mais ce n’est pas vraiment le cas. Le lecteur en apprend très peu sur le narrateur hormis sa solitude, son détachement d’à peu près tout, ses difficultés devant la page blanche et sa tristesse de la perte d’une « amie de cœur ». La force et le charme de cet ouvrage reposent sur un style minimaliste assez inimitable, basé sur la technique du « fragment », de la bribe, du détail en apparence insignifiant. La spiritualité, qu’il différencie soigneusement de la religiosité, tout comme une certaine forme de philosophie restent importantes. Avec Bobin, qui en appelle à plusieurs reprises à Thérèse d’Avila, nous ne sommes pas dans le pari de Pascal, mais dans la simple et belle évidence de Dieu. Une prose unique, poétique et aérienne qui mérite le détour, même si ce charmant ouvrage n’atteint pas les sommets de son chef-d’œuvre, « Le Très-Bas ».
4,5/5
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14/09/2024
Congo à gogo (Josette Bruce)
Dans les années soixante de l’autre siècle, l’agent secret OSS 117 atterrit à l’aéroport N'Gili de Léopoldville au Congo. Il se déplace officiellement pour une mission d’études à titre d’expert agronome auprès de la FAO. Mais son véritable objectif est de retrouver le professeur Greenwood qui a disparu juste avant de partir pour un safari-photo dans une réserve de la région. Scientifique spécialisé dans le domaine des lasers, Greenwood était en train de mettre au point un rayon capable de neutraliser tous les missiles, une sorte d’arme absolue, un « rayon de la mort ». OSS 117 a à peine le temps de prendre contact avec Blind, le correspondant de la CIA à Léopoldville que tous deux se retrouvent mitraillés sur la route de l’aéroport et échappent à la mort de justesse. Un peu plus tard, l’enquête débute par l’interrogatoire d’Emily Marlow, la secrétaire personnelle du savant, vieille fille au physique ingrat et à l’allure des plus revêches. Qui avait intérêt à cet enlèvement ? Les Russes, toujours avides de nouvelles technologies, seraient-ils impliqués ? Une autre puissance ?
« Congo à gogo » est un roman d’espionnage datant de 1981 qui a fort mal vieilli. Sorti d’une poubelle, d’un grenier ou d’une « boîte à livres », il aurait mieux fait d’y rester. L’intrigue est d’une simplicité navrante, les personnages sans intérêt et toutes les situations convenues et prévisibles. La gouaille et l’érotisme, sans parler d’un certain humour à la française qui caractérisait les meilleurs titres du regretté Jean Bruce sont passés à la trappe. Il faut savoir qu’il parut au total 229 aventures du célèbre espion. Pendant 13 années, sous la plume de Jean Bruce, (Jean Brochet de son vrai nom), en écrivit lui-même 88 de 1949 à 1963, soit plus de 6 titres par an. À sa mort, son épouse Josette Bruce (Josepha Pyrsbyl de son vrai nom) puis ses enfants François et Martine en produisirent 141 de plus, en 19 ans, de 1966 à 1985, soit la bagatelle d’environ 7 titres par an. Une petite entreprise qui ne connut pas la crise. Une usine de production à la chaîne ! Le succès ne se démentit pas à l’époque, surtout à la grande époque, preuve qu’un certain type de lectorat populaire n’était pas très difficile. C’est correctement écrit, facile à lire, prévu pour divertir. Mais une telle production ne peut être qu’aux dépens de la qualité. À oublier.
2/5
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11/09/2024
Mourir à Berlin (Jean Mabire)
Entre 1943 et 1945, 10 000 Français s’engagèrent dans la Waffen SS. Ils formèrent la division Charlemagne qui fut envoyée combattre sur le front de l’Est, à la charnière de l’attaque de deux divisions soviétiques, entre l’Oder et la mer Baltique. Sans soutien d’aviation, sans chars, sans appui d’artillerie et sans liaison, ils subissent de fortes pertes à titre de baptême du feu, mais réussissent néanmoins à retarder quelque peu la ruée de l’Armée Rouge. Bilan : sur 5100 hommes engagés, seuls 500 en réchappent. Ils doivent se replier en marchant de nuit et en se cachant dans les bois pour ne pas être capturés. Les Allemands leur ayant proposé de se reconvertir en simples travailleurs, certains issus de la Milice ou de la LVF qui ne comprennent pas pourquoi des Français s’acharnent à vouloir défendre l’Allemagne alors que tout est perdu, les Russes étant déjà sur l’Oder et les Alliés à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest, acceptent de troquer leurs armes contre des pelles et des pioches. Les autres (environ 700 hommes) prennent la direction de Berlin pour la dernière bataille, le sacrifice final (27 avril au 2 mai 1945).
« Mourir à Berlin » est un essai historique de grande qualité, basé sur des témoignages de survivants, qui raconte les combats ultimes des SS français face au déferlement de l’Armée Rouge. C’est vivant (si l’on peut dire dans pareilles circonstances), bien écrit, agréable à lire. Mais ça laisse une impression amère de combat douteux, d’engagement inutile, un peu/beaucoup pour la gloire et le panache. Avec l’aide de quelques brigades de Scandinaves, Baltes et autres volontaires européens, avec celle de vieillards de la Volksturm et de gamins de 14 ans de la HitlerJugend, ces jeunes Français furent les tout derniers combattants pour défendre la ville de Berlin et le bunker d’Hitler, sans aviation, sans chars, sans artillerie, sans armes lourdes, dézinguant au PanzerFaust des dizaines de chars russes avant d’être submergés, écrasés sous les bombes ou flingués par des tireurs d’élite. Ils se battirent même après le suicide d’Hitler. Très peu survécurent. Qu’allaient-ils faire dans cette galère ? Ils furent des soldats politiques, fanatisés, plus nazis que les nazis, persuadés de mener le juste combat, celui d’une Europe nouvelle, unie sous la bannière à croix gammée, se dressant en travers de la route de l’envahisseur bolchevique. La propagande de l’époque fit de grands ravages. Celle d’aujourd’hui n’est guère meilleure…
4,5/5
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08/09/2024
Le Vatican des espions (Mark Riebling)
Le 2 mars 1939, à Rome, les cardinaux réunis en conclave élisent pape Eugenio Pacelli. Dès sa première bénédiction, celui-ci sait que le poids des responsabilités qui lui incombent va être écrasant. Il est germanophile. Il a une excellente connaissance du pays et de la langue. La politique de l’Eglise catholique va l’amener à en découdre systématiquement avec le nazisme. En 1933, il avait obtenu un concordat avantageux pour l’Eglise d’Allemagne. Il permettait de la financer par des recettes fiscales à hauteur de 500 millions de marks. Et quatre années plus tard, le voilà qui condamne officiellement le nazisme, lui reprochant de vouloir anéantir l’Eglise. Il lui reproche son antisémitisme et prône l’égalité raciale. Pour lui, la chrétienté doit rassembler toutes les races dans une seule et unique famille, celle des enfants de Dieu. En effet, peu à peu, la situation des Catholiques empire en Allemagne. Hitler menace de nationaliser le culte et de créer un schisme tout comme le fit Henry VIII en son temps en Angleterre. Les Catholiques commencent à être persécutés. Leurs organisations sont interdites, les écoles et les séminaires sont fermés, leurs biens saisis. Certains opposants, dont 487 Jésuites tchèques, sont envoyés en camp de concentration, d’autres sont assassinés. Pie XII qui a commencé par condamner fermement le nazisme dans une encyclique célèbre se demande comment faire plus. Les évêques et cardinaux allemands le supplient de garder prudence et circonspection pour ne pas aggraver les choses. Il décide donc de se taire et d’agir en secret. Il organise ou participe à l’organisation d’un certain nombre de tentatives d’attentats contre Hitler.
« Le Vatican des espions », sous-titré « La guerre secrète de Pie XII contre Hitler » est un essai historique de belle facture, bien sourcé (un nombre impressionnant de notes et références est disponible en fin d’ouvrage) qui se lit comme un roman d’espionnage. Il aborde un aspect fort peu connu de la seconde guerre mondiale, celui de l’opposition allemande au régime nazi. Minimisée par certains historiens, elle n’en fut pas moins réelle, importante et constante. Les conspirations et complots contre Hitler furent beaucoup plus nombreux que l’on s’imagine. L’Eglise catholique, inspirée par Pie XII, en eut la plus grosse part. Hitler lui-même ne se faisait aucune illusion sur Pie XII. Il le considérait comme un ennemi à abattre. Outre l’ultime et célèbre attentat des généraux, inspiré et perpétré par von Stauffenberg, catholique fervent, dont a échappé miraculeusement Hitler, il y en eut bien d’autres qui sont racontés dans ce livre. Toutes sortes d’agents secrets jésuites ou dominicains y furent à la manœuvre. En vain, car le monstre semblait disposer de protections surnaturelles hors normes. Le lecteur découvrira beaucoup de choses sur Pie XII dont la mémoire mérite d’être réhabilitée et sur d’autres personnages comme l’amiral Canaris. Le plus émouvant et le plus attachant est sans doute l’envoyé spécial du pape, le Bavarois Joseph Müller, personnage haut en couleur, agent secret aux exploits dignes d’un James Bond, qui fut capturé, longuement torturé, envoyé en camp et qui a réussi quand même à sauver sa peau in extremis. La réalité dépasse souvent la fiction. À lire.
4,5/5
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04/09/2024
Treize pillards (Juan Branco)
Qui sont vraiment Edouard Philippe, Emmanuel Macron, Xavier Niel, Benjamin Grivaux, Gabriel Attal, Arnaud Lagardère, Bruno Roger-Petit, Anne Lauvergeon, Thierry Breton, Martin Hirsch, Marie Fontanel, Agnès Buzyn, Bernard Arnault et quelques autres présentés dans ce livre ? Certains sont au haut sommet de l’Etat, d’autres à celui de la Finance cosmopolite et vagabonde, d’autres tiennent les principaux médias et d’autres encore sévissent à Bruxelles ou dans de grandes entreprises. Ils ont en commun de tous venir des classes sociales les plus privilégiées du pays et d’avoir suivi des parcours scolaires et universitaires semblables (Ecole Alsacienne, Lycée Henri IV ou Louis le Grand, ENA, grandes écoles). Ils se sont entraidés pour parvenir aux places enviables où ils se trouvent. Ils se sont enrichis en dilapidant un à un tous les fleurons de la richesse nationale, en privatisant à tout-va (autoroutes, service des eaux, aéroports, etc.), pour en faire profiter des compagnies étrangères et permettre aux copains et coquins de se servir au passage. Ils sont riches, célèbres et puissants. Disposant de tous les médias mainstream, ils peuvent manipuler à leur guise l’opinion, lui faire valider n’importe quel politicien, même le plus nul et le plus incompétent. Pour Branco, « ils ne sont pas corrompus, ils sont la corruption même ». Et cela depuis pas mal de temps…
« Treize pillards » est une courte (59 pages) galerie de portraits à charge taillés à la serpe et à la hache. On avait les « Douze salopards » immortalisés au cinéma, voici les « Treize pillards » de la bande à Macron. Tout comme les « Trois mousquetaires » qui étaient quatre, nos treize sont nettement plus nombreux. Le lecteur peut se dire que Juan Branco est sévère voire un brin malveillant. Mais on peut aussi penser que qui aime bien châtie bien. L’auteur est issu du même milieu, a fréquenté certains dès les bancs de l’école Alsacienne (Attal, Griveaux) et a eu l’occasion de bien connaître les autres, comme Xavier Niel, enrichi dans la prostitution, le minitel rose et si proche du Président qu’il se vantait de l’avoir au téléphone deux fois par jour. En fort peu de pages bien écrites (avec une tournure originale renvoyant les verbes en fin de phrase), le lecteur découvrira un nombre assez effarant d’affaires plus ou moins scandaleuses comme l’enrichissement ultra-rapide de Bernard Arnault qui vit sa fortune tripler en quatre années, passant de 40 à 120 milliards ou comme les « exploits » de Mme Anne Lauvergeon, responsable du démantèlement d’Areva, de la perte de 4 milliards d’euros dans une recherche impossible d’uranium et de 6000 suppressions d’emploi. Car toute cette gestion menée (au choix) par ces gribouilles ou ces profiteurs a un coût social. Quand c’est l’Etat qui paie, ce n’est pas gratuit, c’est le peuple qui trinque sous forme d’inflation, d’augmentation des tarifs de l’énergie et des impôts, sans oublier les délocalisations et le chômage de masse qui va avec. Sait-on seulement que celui-ci est responsable de la mort de 15 000 de nos compatriotes chaque année ? À lire pour ouvrir les yeux sur une triste réalité. Et aucune excuse pour ne pas le faire. L’auteur a mis cet ouvrage en libre accès sur le net.
4,5/5
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01/09/2024
La Frontière (Maurice Leblanc)
Sur la ligne de crête des Vosges, au début de l’autre siècle, le vieux Morestal, vétéran de la guerre de 70, constate qu’un poteau marquant la frontière côté allemand a été abattu. Dans sa maison de maître située à quelques encablures, il attend avec son épouse la venue de leur fils Philippe, accompagnée de son épouse Marthe. Farouche patriote, Morestal, qui a réussi comme patron d’une petite scierie, vit dans la honte de la défaite de 1870 et dans l’espoir d’une nouvelle confrontation avec les Prussiens qui, cette fois, pourrait tourner à notre avantage et nous permettre de récupérer l’Alsace et la Lorraine. Professeur à Paris, son fils Philippe a des idées diamétralement opposées. Pacifiste convaincu, il a écrit deux livres sur la question dont le dernier est paru anonymement pour ne pas froisser ses proches. Philippe rêve d’un monde où l’amour de l’humanité ne s’arrête pas aux frontières d’un pays. Mais quand un certain Dourlowski, colporteur un peu louche, prévient Morestal qu’un soldat alsacien, Jean Baufeld, s’apprête à déserter pour rejoindre la Légion, le drame se noue. Morestal qui connait la région comme sa poche et peut aider Baufeld à trouver les points de passage se met en route de nuit avec son fils et un ami…
« La frontière » est un roman de fiction prémonitoire publié en 1911. Il ne s’agit pas d’un roman policier comme en produisit tant Maurice Leblanc, mais d’une projection dans un futur proche. L’auteur imagine ce qu’un simple incident de frontière pourrait engendrer comme conséquences si les deux parties campaient sur leurs positions tranchées voire de mauvaise foi et en arrivaient logiquement et par paliers jusqu’à un conflit mondial. À cette époque, une simple étincelle suffisait pour faire exploser le baril de poudre Il y ajoute une histoire d’amour assez dramatique et bien pétrie de faiblesse humaine. Il se montre fin psychologue et parfait narrateur. Le style est d’une telle qualité et d’une telle fluidité que l’ouvrage se dévore en un temps record. Un des nombreux intérêts de ce livre qui n’a pas pris une ride réside surtout dans la présentation des points de vue antagonistes des patriotes et des pacifistes (style Jaurès ou Anatole France). Bien qu’étant lui-même radical-socialiste et libre-penseur, Leblanc a la finesse de ne pas prendre parti ni pour le père ni pour le fils. Il se contente de présenter les arguments, laissant la liberté au lecteur de se faire une opinion sur une problématique qui se pose malheureusement encore aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard. Il faut lire et relire Maurice Leblanc et pas seulement les « Arsène Lupin » !
4,5/5
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