28/10/2023
Le porte-monnaie, une société sans argent (Jean-François Aupetitgendre)
Entre 2029 et 2040, Jacques Durieux, ancien notaire, note au jour le jour ses impressions sur le passage d’une société marchande, capitaliste, consumériste, à une société de l’accès, du don, de la gratuité, de l’égalité et de la liberté par la magie de la disparition totale de l’argent. Dans son immeuble de la Faisanderie, il cohabite avec un menuisier, un ancien commissaire de police, une institutrice, un mécanicien, un ingénieur, un archéologue et un petit escroc. Dès l’annonce de la disparition de l’argent et donc du commerce et de l’instauration d’une économie durable et solidaire, les magasins ont été pillés et la pagaille s’est installée un peu partout. Beaucoup ont cru pouvoir trouver refuge à la campagne. Leurs habitations ont aussitôt été investies par des squatteurs, la propriété privée n’ayant plus lieu d’être… Tout était parti d’un krach boursier phénoménal, d’une succession d’explosions de bulles spéculatives, d’une inflation galopante et de dévaluations inutiles. Ruinés, affamés, les peuples se soulevèrent un peu partout dans le monde, attaquèrent les banques, neutralisèrent les bourses. Au Brésil, les gens commencèrent à brûler des brouettes de billets et de titres qui ne valaient plus rien. Et le mouvement fit tache d’huile…
« Le porte-monnaie, une société sans argent » ne peut pas être considéré comme un véritable roman, même si l’auteur a cherché à illustrer son propos en convoquant quelques personnages sans grande consistance d’ailleurs. Il s’agit plutôt d’une parabole, d’une fable ou d’une allégorie, relevant du rêve, de l’utopie ou de la pure et simple fantaisie. Dans cette histoire fort peu crédible, le fait de faire disparaître l’argent et tous les moyens de paiement, permettrait de parvenir à une société solidaire, égalitaire et respectueuse de l’environnement. Plus de gâchis, plus de gaspillage, plus de dépenses inutiles comme la publicité. Rien que de l’entraide, du partage, de la bienveillance et de la gratuité. Après le grand Soir, le paradis sur terre. Sortant parfois de son rêve anarchiste, l’auteur conçoit qu’il puisse y avoir de-ci, de-là, quelques difficultés. Mais qu’à cela ne tienne, il y a toujours la solution de réunir un comité de discussion, une conférence internationale. Les palabres, les tractations, les blablablas interminables doivent toujours tout résoudre. À une époque où l’argent n’a jamais été aussi puissant au point qu’on en est arrivé aux crypto-monnaies de banques centrales qui vont faire disparaître le cash et nous faire basculer dans des sociétés de contrôle total, il est malheureusement facile de constater que cette histoire est aux antipodes de la triste réalité. Pour ceux qui veulent rêver d’un monde de Bisounours où la disparition de la richesse entrainerait celle de la pauvreté…
3/5
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23/10/2023
Kubark (Le manuel de manipulation mentale et de torture de la CIA)
Datant de l’époque de la guerre froide, Kubark est le nom de code d’un manuel d’interrogatoire destiné aux agents de la CIA. Très inquiets des résultats obtenus par les communistes russes et chinois, les Américains ne voulaient pas être à la traine dans les techniques de lavage de cerveau et d’extorsion de renseignements. Ils découvrent que l’on peut pratiquer une violence aseptisée et manipuler de toutes sortes de manières le psychisme d’un individu pour arriver à le faire craquer et à obtenir aveux ou informations. Ainsi commencent-ils à mettre en place, à une échelle individuelle, tous les éléments de ce qu’on a appelé ensuite « la stratégie du choc » pratiquée plus tard par le néo-libéralisme mondialiste à l’échelle de sociétés entières et tout récemment à celle de l’ensemble de la planète lors de la crise du Covid. Il s’agit de provoquer brutalement un état de régression psychique en agitant des peurs pour mettre le sujet sous emprise. Tous les moyens sont bons. L’isolement sensoriel est sans doute le plus important. La CIA expérimentera même un caisson d’isolement dans lequel un humain est attaché dans une sorte de cercueil rempli d’ouate où il ne peut rien voir, ni entendre, ni sentir. Il peut en résulter des perturbations graves du psychisme (amnésies, hallucinations ou désintégration totale de l’identité). Elle pratiqua également les électrochocs, l’hypnose, le détecteur de mensonges et l’administration de drogues. (dont le LSD distribué à grande échelle qui ne donna pas grand-chose si ce n’est le psychédélisme du mouvement hippie avec des gens comme Leary, Ginsberg ou Kesey…)
« Kubark » est un document récemment déclassifié, brut de décoffrage et relativement peu agréable à lire. De nombreux passages sont encore caviardés, rendant parfois la compréhension difficile. Le texte est précédé d’une très longue introduction qui représente un bon tiers de l’ouvrage et qui résume toute la suite. Le style est administratif, lourd, redondant. On sent que l’auteur patauge un peu. Ça bidouille de tous les côtés et, avec honnêteté, la plupart du temps ça reconnaît que toutes ces méthodes de manipulation du psychisme ne marchent pas vraiment bien. Que des aveux ou des révélations obtenus d’une façon aussi cruelle (même si la torture physique ne devient que secondaire) ne valent pas grand-chose. La CIA voulait pouvoir interroger des agents secrets étrangers ou vérifier la sincérité de transfuges. Elle se situait donc dans le simple contre-espionnage qu’elle appelle d’ailleurs « contre-renseignement » et n’avait pas tout à fait le même objectif que ses adversaires communistes qui se plaçaient sur le terrain politique et visaient la soumission, voire la désintégration psychique des opposants. Le lecteur pourra constater que ces méthodes ont bien empiré depuis ces années 50 et 60 en comparant ce qu’il lira dans cet ouvrage avec ce qu’il sait des horreurs pratiquées à Guantanamo et à Abou Grahib entre autres…
3/5
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19/10/2023
Le roman de Budapest (Christian Combaz)
Bâtie sur des grottes et dans un emplacement stratégique, Buda fut pendant trois siècles le bastion le plus avancé de la paix romaine contre les assauts des Barbares venus des terres slaves et même du lointain Iran. Territoire des Magyars, peuple turbulent venu du Nord, la Hongrie devient assez vite un royaume chrétien avec son premier roi, Istvan, fils de Geza, qui l’impose par l’épée et reçoit du Pape une couronne surmontée d’une croix qui restera longtemps le symbole du royaume. Mais arrivent bientôt les invasions tatares qui ravagent la ville et tout le pays alentour. Quand ceux-ci finissent par se retirer, le château royal est reconstruit par les Français (Angevins). Un peu plus tard, la ville tombe aux mains des Turcs de Soliman le magnifique qui la brûle et la ravage totalement. La Hongrie restera occupée par les Ottomans pendant 150 longues années. Grâce au sacrifice des Hongrois et à leur résistance acharnée, la Sublime Porte ne parviendra jamais à s’emparer de Vienne en dépit de toutes ses tentatives. Mais cet épisode terminé n’apportera pas encore la liberté au pays qui tombera ensuite sous la tutelle des Habsbourg jusqu’à la première guerre mondiale. La Hongrie subira une première révolution communiste, puis une occupation nazie pendant la seconde guerre mondiale et finalement une autre occupation, soviétique celle-là, qui durera quarante ans et verra en 1956 un soulèvement populaire qui sera réprimé de la plus cruelle manière. Il faudra attendre la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique pour que la ville et le pays retrouvent la liberté…
« Le roman de Budapest » est un ouvrage historique passionnant permettant au lecteur de faire un survol fort instructif de l’histoire de la Hongrie en prenant sa capitale comme base d’observation. Le lecteur découvrira que le destin de Budapest qui fut la réunion de deux villes (Buda, ville royale et Pest, ville plus populaire) fut particulièrement tragique. Placée en première ligne face à toutes les invasions, les habitants pourtant ouverts et tolérants, eurent beaucoup à souffrir de toutes sortes d’envahisseurs (Tatars, Turcs) aussi cruels que destructeurs. La ville et le pays furent également bien longtemps sous tutelle (autrichienne, allemande et russe) et sous influence française au XVIIIe siècle et anglaise au XIXe. Son architecture baroque et variée malgré toutes les destruction amenées par les guerres en témoigne. Au fil du temps, le récit vivant et agréable à lire de Combaz nous permet de faire plus ample connaissance de personnages comme Matyas Corvin, Istvan Széchenyi, Lajos Kossuth, François-Joseph, Sissi, Franz Liszt, Sandor Petofi, Tibor de Nagy, le cardinal Mindszenty longtemps prisonnier, Imre Nagy, Janos Kadar ou l’amiral Horthy qui marquèrent en bien ou en mal une Histoire tourmentée. Ouvrage aussi passionnant que le « Roman de Saint Pétersbourg », agrémenté de deux beaux cahiers d’illustrations et de photographies.
4,5/5
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14/10/2023
Sortir de l'Europe (Alain Falento)
Les deux « pères » de l’Union Européenne furent Jean Monnet et Robert Schuman. Le premier fut conseiller de Roosevelt, agent de la CIA et richissime homme d’affaires aux Etats-Unis. Le second qui fut 14 fois ministre de nombreux gouvernements, officia sous Pétain, se cacha dans des monastères pendant la guerre et se retrouva frappé « d’indignité nationale » à la Libération. Dès le départ, il aurait fallu se méfier. Mais cette « construction » européenne se pratiqua à petits pas pour ne pas choquer les opinions publiques, bribe par bribe, un peu selon la tactique du « voleur chinois » en commençant par une certaine CECA (Communauté économique du charbon et de l’acier, chacun sait aujourd’hui ce qu’il est advenu de ces deux filières), puis en progressant par étapes, au fil des traités, pour en arriver à une sorte d’accomplissement avec la création de l’euro, en passant par la Pac, les accords de Schengen, les entrées successives de nouveaux pays avides de subventions communautaires, les traités de Maastricht et de Lisbonne et la mise en place de Frontex qui devait défendre les frontières extérieures de l’Union. À Lampédusa, Vintimille, Algesiras, Calais et jusqu’en Pologne, chacun a pu admirer son efficacité. Alors quelques années après le Brexit qui a fait la démonstration que la Grande-Bretagne n’a pas connu le chaos annoncé partout, tout citoyen un brin averti peut se poser la question : pour ce « machin » de Bruxelles (dixit de Gaulle), stop ou encore ? Frexit ou pas ? Qu’avons-nous à perdre ou à gagner dans les deux cas de figure ?
« Sortir de l’Europe » est un essai en forme de réquisitoire fort bien argumenté qui présente la liste interminable des inconvénients, des risques et des dangers que nous avons à rester dans cette entité qui nous coûte plus cher qu’elle ne nous rapporte. On nous l’a vendue comme étant facteur de paix, de sécurité, de plein emploi et de prospérité. Un demi-siècle plus tard, il est difficile de ne pas constater que ces promesses étaient toutes fallacieuses à moins de considérer que nous vivons dans un monde orwellien où la paix c’est la guerre (Ukraine), la sécurité ce sont les agressions à chaque coin de rue et la prospérité c’est la désindustrialisation, le chômage de masse, le naufrage de notre agriculture, les tarifs démentiels des énergies et la paupérisation rampante par le biais d’une inflation et d’une dette impossibles à maîtriser. Fallait-il perdre toute indépendance, toute souveraineté jusqu’à celle de battre monnaie en échange de ça ? Nos dirigeants et nos chefs d’État n’ont plus aucun pouvoir réel. Ils ne font qu’entériner toutes les décisions européennes. Le Parlement européen lui-même n’est qu’une chambre d’enregistrement. Le véritable et unique lieu de pouvoir est la Commission Européenne dans laquelle un certain nombre de technocrates coaché par une dirigeante teutonne recyclée décident aussi bien du diamètre des roues de bicyclettes que de nous faire participer à une guerre sans jamais avoir été élus et sans jamais nous avoir demandé notre avis. Livre à faire lire à tous ceux qui ne sont pas encore convaincus qu’il est grand temps d’en finir !
4,5/5
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11/10/2023
Le guide du bien-être selon la médecine chinoise (Yves Requena & Marie Borrel)
Pour la médecine chinoise, les éléments ne sont pas au nombre de quatre (terre, feu, air et eau), mais de cinq : le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau, lesquels entrent en correspondance avec les saisons (excepté la terre), avec la nature et avec le corps humain. Contrairement à l’occidentale et en particulier l’allopathique qui est surtout réparatrice dans la mesure où elle s’attache à traiter les symptômes, c’est une médecine de prévention qui cherche à maintenir le « terrain » en harmonie et donc à permettre au patient de rester le plus longtemps possible en bonne santé. On dit qu’autrefois on cessait de payer son acupuncteur ou son médecin quand on tombait malade. Et non l’inverse comme chez nous ! Les saveurs sont elles aussi cinq : l’acide, l’amer, le doux, le piquant et le salé. Reste à découvrir de quel élément chacun de nous dépend. Les moyens employés, tous adaptés à chaque cas sont fort nombreux et complémentaires : acupuncture, moxas, massages, alimentation, plantes, huiles essentielles, élixirs floraux et exercices de Qi Gong.
Ce guide de bien-être de qualité n’en demeure pas moins un exercice de vulgarisation voire d’initiation ou d’introduction au monde complexe et très pragmatique de la médecine chinoise. Il tente d’être exhaustif en s’attachant à étudier séparément les cinq éléments, histoire « d’être bien dedans ». Tout démarre d’un test assez simple comportant 40 questions plus une étude de la main permettant de classer le patient dans l’élément qui le caractérise. Le lecteur peut se retrouver classé dans deux éléments, ce qu’admettent les auteurs, cette recherche nécessitant bien d’autres paramètres. D’autres ouvrages tiennent compte de beaucoup plus de critères comme la force du visage, celle du nez, le positionnement des yeux, les pouls et autres caractéristiques physiques pouvant aider plus finement à ce classement. Cet ouvrage de très belle qualité éditoriale (papier glacé, reliure solide) dispose de nombreuses et très belles illustrations ainsi que de photographies particulièrement utiles pour s’initier aux postures de Qi-Gong. Intéressant pour qui veut bénéficier d’une première approche du sujet, mais qui, bien sûr, ne pourra jamais remplacer un maître de Qi-Gong et à fortiori un acupuncteur…
4/5
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08/10/2023
Esclaves chrétiens, maîtres musulmans (Robert C. Davis)
Peu étudié et même souvent négligé, l’esclavage des Blancs dans le monde méditerranéen fut pourtant numériquement plus important que celui des Noirs au XVIᵉ et jusqu’à la moitié du XVIIè avant que la tendance ne s’inverse. Mais quelle fut l’ampleur d’un phénomène qui frappa tout le pourtour de la Méditerranée et s’étendit même jusqu’aux lointains rivages de l’Angleterre et de l’Irlande ? Comment les Barbaresques et les Turcs se procuraient-ils leurs esclaves blancs ? Tout simplement en attaquant les navires de commerce ou de simple pêche, en ravageant les villes et villages des côtes espagnoles, françaises, italiennes et autres, en pratiquant de terribles razzias avec pillages et destructions systématiques et capture de prisonniers avec une préférence pour les enfants, les femmes jeunes et les hommes de bonne constitution. Le sort qui attendait ses malheureux n’était guère enviable. Les galères avec la chiourme ou le travail harassant dans les carrières ou dans les champs pour les hommes, les harems et les tâches de servantes pour les femmes. Un enfermement dans des « bagnes » (anciens établissements de bains dont les plus nombreux étaient situés à Alger) dans une promiscuité délétère, sans la moindre hygiène, avec une nourriture infecte et des épidémies de peste récurrentes. Le taux de mortalité des esclaves était de 15 à 20% dès la première année. Et les conséquences en furent terribles pour toute une population chrétienne, toute une société sans cesse agressée qui doit faire face aux ravages de cette piraterie et à ces coupes sombres de population par ces mises en esclavages qui durèrent pendant plus de trois siècles et ne prirent vraiment fin qu’avec la prise d’Alger.
« Esclaves chrétiens, maîtres musulmans » est un essai historique très bien documenté (les nombreuses notes de bas de pages en attestent) et fort intéressant sur une traite beaucoup moins connue et dont on parle beaucoup moins que la transatlantique et qui ne fonctionna pas du tout de la même façon. L’auteur américain fait d’ailleurs de très pertinentes comparaisons en mettant en parallèle un système purement économique de recherche de main d’œuvre et un autre basé sur le vol, le pillage, la prédation et la haine religieuse. Les souffrances des uns n’effaçant pas les souffrances des autres, le lecteur ne peut que ressentir de l’empathie pour tous ces malheureux esclaves privés de libertés, ces galériens enchainés à vie à leur banc de rame, battus et humiliés en permanence. Les maîtres musulmans cherchaient à obtenir des rançons souvent exorbitantes qu’ils ne pouvaient obtenir que des très rares riches personnages qu’ils capturaient parfois. Ils exigeaient néanmoins de tout esclave une redevance pour la nourriture et l’hébergement tout en profitant de sa force de travail. Malgré tous les efforts de congrégations religieuses comme les Trinitaires et les Mercédaires et toutes les collectes d’argent dans les paroisses, le taux de rachat des esclaves chrétiens ne dépassa jamais les 7 à 8%. Autant dire que l’espoir d’être un jour libéré de cette servitude pire que celle du goulag soviétique ou des camps nazis était plus que minime. Ouvrage passionnant pour qui veut bien se pencher sur cette page d’Histoire dont il ne reste que peu de traces, si ce n’est quelques noms de lieux (comme le Massif des Maures) et une tête sur le drapeau corse, région qui eut beaucoup à en souffrir tout comme l’Italie, particulièrement bien analysée d’ailleurs.
4,5/5
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04/10/2023
Approches, drogues et ivresse (Ernst Jünger)
Comment résumer ce livre qui part un peu dans tous les sens ? Il porte très bien son titre. Ce sont bien des « approches », des esquisses sur le thème des drogues et de l’ivresse. La recherche de la perte de contrôle, du rêve, de l’ailleurs par toutes sortes de moyens allant des plus bénins aux plus dangereux. L’auteur y a rassemblé en un grand nombre de très courts chapitres (plus de 300), en réalité de notes, toutes sortes de réflexions, méditations, pensées diverses et variées, citations d’auteurs, extraits de poèmes. Il ne s’agit en aucun cas d’une étude circonstanciée ni d’un traité exhaustif. Par exemple, Jünger compare les ivresses obtenues par la bière et le vin en amenant sa réflexion sur les différences civilisationnelles entre les pays du nord et ceux du sud, entre les terres de houblon et celles de vignobles et les mentalités qui vont avec. Il a expérimenté sur lui-même la plupart des produits dont il parle (haschich, cannabis, cocaïne, morphine, LSD, éther, chloroforme, peyotl, champignons hallucinogènes, etc.) Dans certains chapitres, il note même heure par heure et parfois minute par minute ses impressions. Les expérimentations sont parfois étonnantes, parfois décevantes…
« Approches drogues et ivresse » pourrait se classer dans les essais, mais ce n’est pas vraiment le cas, car ce livre n’est pas vraiment une étude, ni même un véritable retour d’expérience, ni même un témoignage au sens classique du terme. C’est plutôt une conversation à bâtons rompus où le thème principal autorise toutes sortes de digressions sociologiques, ethnographiques, mythologiques, historiques, linguistiques, mycologiques, pharmaceutiques, phytochimiques, etc. L’auteur en appelle à Baudelaire, Maupassant, Hoffmann, Poe, de Quincey, Cocteau, Novalis, Goethe, Mirbeau, Loti, Nietszche, Michaux, Huxley, Orwell et tant d’autres qui y ont touché de près ou de loin. Il analyse l’attitude des états et des religions vis-à-vis du tabac et de l’alcool (Islam et prohibition aux Etats-Unis). C’est intelligent, brillant, même si ça dérive un peu beaucoup. Nul doute que le plus intéressant pour le lecteur lambda restera surtout les anecdotes de la jeunesse de l’auteur dans les années 30 et 40.
3,5/5
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01/10/2023
Autopsie du mythe gaulliste (Florent Gintz)
Militaire et homme politique hors normes, Charles de Gaulle a bâti autour de sa personne et de son action une légende fabuleuse de libérateur de la France et de tout premier résistant du pays grâce à son célèbre « Appel du 18 juin ». Il voulut rendre sa dignité et son indépendance à notre pays qui, sans lui, aurait été relégué au rang de puissance de troisième ordre. Encore aujourd’hui, longtemps après sa mort, il reste une référence obligée à droite et même dans certains cercles de gauche et plus d’un se demande encore ce qu’il aurait fait dans telle ou telle circonstance. Mais cette image d’Epinal garde quand même quelques côtés obscurs et peu glorieux comme l’Epuration avec ses procès iniques, ses femmes tondues et les vengeances mesquines de résistants de la 25è heure, le procès Pétain avec la condamnation à mort muée en détention à perpétuité du plus âgé prisonnier politique du monde (mort à 95 ans), l’alliance objective avec Staline, la réhabilitation du PCF compromis par le pacte germano-soviétique et son implantation durable dans de nombreux rouages de l’État (éducation, médias, services publics), sans oublier diverses liquidations (réussie pour Darlan ou ratée pour Giraud…)
« Autopsie du mythe gaulliste » est un essai historique donnant plutôt dans le procès à charge d’un personnage historique majeur de notre Histoire. Le lecteur y découvrira que tout ne fut ni tout blanc ni tout noir dans une période troublée et que toute cette saga dont on a édulcoré les côtés sombres ou même ridicules, a eu aussi des aspects nettement moins reluisants et des conséquences jusqu’à nos jours. Il y apprendra qu’il y eut en fait deux appels du 18 juin et non un seul et que le premier est assez différent du second, que le général avait songé à faire fusionner la France et l’Angleterre en un territoire unique où tout ressortissant français serait devenu britannique et réciproquement. Mal accepté par les Anglo-saxons qui lui auraient préféré quelqu’un de plus représentatif comme Weygand ou Giraud, il avait même envisagé de quitter Londres pour Moscou. Le livre est assez court, met beaucoup l’accent sur les côtés négatifs voire déplaisants du personnage et se cantonne à la période de la guerre, de l’Epuration et de son premier gouvernement qui ne fit pas de merveilles (le rationnement alimentaire dura jusqu’en 1949) et qu’il quitta bien vite. L’affaire d’Algérie, Mai 68 et ses conséquences n’y sont pas traités. C’est un peu dommage. Il y aurait eu tant à dire…
3/5
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29/09/2023
Intensité (Dean Koontz)
En Californie, deux étudiantes en psychologie, Laura et Chyna, sont invitées à passer le week-end dans la résidence des parents de Laura. Si celle-ci a eu la chance de bénéficier d’une enfance heureuse et équilibrée, ce ne fut pas le cas de son amie Chyna qui grandit sans père, avec une mère alcoolique, instable, sans emploi et souvent accompagnée de personnages peu recommandables. Elle a passé toute son enfance et sa jeunesse dans la peur, souvent en se cachant dans les endroits les plus improbables pour échapper aux avances des amis ivrognes ou drogués de sa mère. Accueillie chaleureusement par la famille, Chyna monte se coucher et peine à trouver le sommeil. Et soudain, elle entend un cri strident dans la nuit, suivi d’un bruit de chute bien inquiétant. Elle entend aussi des pas dans le couloir et en conclut qu’un inconnu s’est introduit dans la maison. Elle a l’excellent réflexe de se cacher sous son lit. Un inconnu aux bottes tachées de sang entre dans sa chambre mais ne la trouve pas. Quand le calme revient, elle sort de sa cachette. Mais c’est pour découvrir que toute la famille a été sauvagement assassinée et que son amie vient d’être violée. Le tueur l’embarque dans son camping-car. Chyna s’y glisse également dans l’espoir de sauver la vie de Laura. Mais quand elle s’aperçoit que celle-ci est déjà morte, il est déjà trop tard pour s’enfuir…
« Intensité » est un thriller d’assez bonne facture avec tous les ingrédients du genre : meurtres, tortures physiques et psychologiques, psychopathe aussi inquiétant que répugnant et suspens soigneusement entretenu. Peur et écœurement garantis presque à tous les chapitres. Dommage que tous ces ingrédients ne soient en fait que de grosses ficelles. L’intrigue manque de finesse et parfois même de rythme. Le lecteur tremble avec l’héroïne et est révulsé par le sadisme et la cruauté malsaine du tueur fou. Mais parfois la lassitude vient avec le dégoût. Trop, c’est trop… On patauge un peu trop dans l’hémoglobine et les sanies et tous les ressorts psychologiques sont autant usés qu’outrés. À déconseiller aux âmes sensibles bien évidemment. Mais également aux amis du rationalisme et de la vraisemblance. Sans parler des connaisseurs en psychologie humaine. À vouloir trop forcer le trait, on tombe dans l’outrance et la caricature. L’intrigue démarre assez lentement après une intro bien gore, puis monte crescendo pour une fin dantesque de bataille avec une meute de dobermans dressés à tuer. Dean Koontz est un maître du genre. Il maitrise son sujet. Mais là, il a sans doute trop chargé la mule. Conclusion : pas le meilleur de ses opus !
3/5
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26/09/2023
La véritable histoire des Cristeros (Hugues Kéraly)
Qui donc étaient dans les années 20 et 30 ces « Cristeros » mexicains ? De simples paysans fauchés à la mitrailleuse lourde par l’armée gouvernementale alors qu’ils récitaient des « Ave Maria »… De jeunes étudiants battus à mort parce qu’ils portaient une médaille de la Sainte Vierge autour du cou… Des enfants de 14 ans fusillés ou pendus pour avoir reçu la communion solennelle… Des prêtres « réfractaires » dénudés, émasculés, dépecés vivants et crucifiés devant leurs paroissiens horrifiés… Dès 1924, le président Callès, marxiste franc-maçon, entreprend de faire disparaître du pays tout culte chrétien. Il lance une grande campagne de « défanatisation ». Il donne carte blanche à son armée très anti-théiste et bénéficie de l’aide massive des Etats-Unis qui lui fournissent argent, armes et munitions pour mener à bien cette sinistre besogne. Ceux-ci y voient un bon moyen d’affaiblir le Mexique et de le maintenir pour longtemps dans une extrême pauvreté. Le pouvoir commence par interdire aux prêtres d’exercer leur sacerdoce, ferme les écoles chrétiennes, détruit les églises à coups de canons, s’empare des biens du clergé, expulse les congrégations religieuses, et jette en prison moines et moniales. Le peuple proteste d’abord en priant devant les églises fermées puis en manifestant pacifiquement devant les palais des gouverneurs. Le pouvoir n’hésite pas à faire tirer sur la foule à la mitrailleuse lourde. La résistance s’oriente ensuite vers le boycott économique des magasins d’état puis le clergé organise une suspension générale du culte. En bon Staline mexicain, Callès ne cède pas. Alors, c’est tout un peuple qui se dresse aux cris de « Viva el Cristo Rey ! », armé de machettes, de manches de pioches et de vieux tromblons et qui doit affronter des régiments lourdement armés qui arborent des drapeaux noirs ornés de tibias entrecroisés et qui hurlent en retour « Viva el Demonio ! »
« La véritable histoire des Cristeros » est un ouvrage historique de grande qualité, illustré de nombreux documents d’époque et basé sur des témoignages recueillis sur place, qui a le mérite de sortir un peu de l’oubli un épisode peu glorieux de l’histoire du Mexique et d’une certaine façon de l’histoire du marxisme en général. Le lecteur fera bien des découvertes surprenantes en le lisant. Même si le peuple s’était levé en masse, même si les Cristeros, avec pour seules armes celles saisies sur l’ennemi, avaient réussi à libérer plus des trois quarts du pays (Callès ne tenant plus à la fin que la capitale, quelques villes de garnison et les principaux axes), il fut volé de sa victoire par les « Arreglos », accords de paix obtenus par l’ambassadeur américain en forçant la main de deux prélats bien naïfs. Ce fut un véritable marché de dupes, une reddition en rase campagne. Le pouvoir ne céda pas un pouce de terrain dans sa persécution religieuse. Par obéissance à un ordre qu’ils crurent venu du pape, les Cristeros déposèrent les armes par obéissance. Les bolchéviques purent tout à loisir continuer leur liquidation physique des chrétiens mexicains. Le bain de sang fut encore pire après qu’avant. Il se poursuivit même durant des années dans le silence et l’indifférence des opinions publiques internationales. Cette « Vendée » mexicaine serait restée ignorée à jamais si le pape Jean-Paul II n’avait pas commencé à béatifier en 1979 les 38 premiers martyrs mexicains. Un ouvrage essentiel, très émouvant. Surtout le chapitre « Place aux martyrs » qui résume chronologiquement la vie et la fin tragique de ceux-ci.
4,5/6
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